Cellules naissantes en rouge, neurones en vert. Les cellules en rose sont de nouveaux neurones à intégrer dans un réseau de neurones. Crédit :© UNIL-CHUV- Carron / Toni
Les neuroscientifiques de Synapsy ont identifié l'un des mécanismes à l'origine de l'effet antidépresseur du lactate, une molécule produite par l'organisme pendant l'exercice. Ses principales caractéristiques - lactate, NADH et neurogenèse - ouvriront la voie à de nouvelles possibilités de traitement.
La dépression est la principale cause d'invalidité dans le monde. Des neuroscientifiques de Synapsy – le Pôle de recherche national suisse sur les maladies mentales – basé au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et à l'Université de Lausanne (UNIL) viennent de démontrer que le lactate, une molécule produite par l'organisme pendant l'exercice, a un effet antidépresseur dans souris. Le lactate est surtout connu pour le rôle central qu'il joue dans la nutrition des neurones à l'intérieur du cerveau. Pourtant, il peut également contrer l'inhibition de la survie et de la prolifération de nouveaux neurones, une perte observée chez les patients souffrant de dépression et chez les animaux stressés. De plus, l'équipe de recherche a identifié le NADH comme un élément essentiel du mécanisme :il s'agit d'une molécule aux propriétés antioxydantes qui est issue du métabolisme du lactate. Les résultats, publiés dans la revue scientifique Molecular Psychiatry, permettent de mieux comprendre les mécanismes physiologiques qui sous-tendent l'activité physique, ce qui devrait conduire à une amélioration du traitement de la dépression à l'avenir.
L'OMS reconnaît la dépression - qui touche près de 264 millions de personnes - comme la principale cause d'invalidité dans le monde. Des traitements à base d'antidépresseurs et de psychothérapie sont disponibles pour aider les personnes souffrant de ce trouble. Pourtant, comme le souligne Jean-Luc Martin, maître de conférences et chercheur au Centre de neurosciences psychiatriques (CNP) du CHUV et à l'UNIL, membre de Synapsy et co-directeur de l'étude avec le professeur Pierre Magistretti :« Environ 30 % des personnes souffrant de dépression ne répondent pas aux antidépresseurs. Parallèlement, les effets antidépresseurs de l'activité physique sont connus depuis de nombreuses années, même si la communauté scientifique peine à comprendre les mécanismes moléculaires impliqués.
Exercice et lactate :unis contre la dépression
Lors de ses précédentes investigations, le laboratoire dirigé par le Dr Martin s'est concentré sur le lactate – une molécule produite lors de l'exercice physique – pour tenter d'expliquer les bienfaits du sport. Les chercheurs ont observé l'action antidépressive du lactate lorsqu'il est administré à des souris à des doses comparables à celles retrouvées lors d'une activité physique. Comme le poursuit le neuroscientifique vaudois :"Le lactate diminue notamment l'anhédonie, l'un des principaux symptômes de la dépression, qui consiste à perdre l'intérêt ou le plaisir de toutes ces activités qui, avant la dépression, étaient considérées comme agréables."
Donner naissance à de nouveaux neurones
L'équipe du CNP souhaitait approfondir et comprendre comment le lactate agit sur le cerveau pour lutter contre la dépression. Ils se sont concentrés sur la neurogenèse adulte dans l'hippocampe, une région du cerveau qui joue un rôle dans la mémoire et la dépression. « La neurogenèse adulte est le terme utilisé pour désigner la production de nouveaux neurones à l'âge adulte à partir de cellules souches cérébrales », précise le Dr Martin. "Son objectif principal est de remplacer les neurones, et il est connu qu'il est altéré chez les patients dépressifs, lorsqu'il contribue à la réduction du volume de l'hippocampe observée chez certains individus." Avec l'aide de ses collègues chercheurs, le Dr Martin a pu montrer que le lactate restaure la neurogenèse et diminue le comportement dépressif chez la souris. A l'inverse, sans neurogenèse, le lactate perd son pouvoir antidépresseur, signe que les deux sont intimement liés.
Un trio clé
Mais cela ne nous dit rien sur le mécanisme par lequel le lactate régule la neurogenèse. Ainsi, les chercheurs ont étudié son métabolisme, c'est-à-dire l'ensemble des réactions chimiques cellulaires qui s'y rapportent. Le lactate est en grande partie dérivé de la dégradation du glucose des aliments et est ensuite oxydé en pyruvate. Anthony Carrard, biologiste au CNP et investigateur principal de l'étude, explique :« Nous avons logiquement testé le pyruvate sur la neurogenèse, sans succès. Alors, on s'est dit qu'il fallait trouver la réponse dans la transformation du lactate en pyruvate."
Lors de la conversion du lactate en pyruvate, les cellules produisent une molécule au potentiel antioxydant, connue sous le nom de NADH. Comme le poursuit le Dr Carrard :"C'est le NADH et ses propriétés antioxydantes qui protègent la neurogenèse lors d'un épisode dépressif - ou du moins lors d'une modélisation de certains de ces symptômes chez l'animal." En conclusion, le chercheur ajoute :« Ce mécanisme pourrait expliquer le lien entre le sport et la dépression, sachant que d'autres expériences sont encore nécessaires pour le démontrer. Surtout, il offre des cibles potentielles pour la conception de futurs traitements. Pour cela, nous allons d'abord identifier les protéines sur lesquelles agit le facteur NADH."
Référence :« Rôle de la neurogenèse hippocampique adulte dans les actions antidépressives du lactate » par Anthony Carrard, Frédéric Cassé, Charline Carron, Sophie Burlet-Godinot, Nicolas Toni, Pierre J. Magistretti et Jean-Luc Martin, 14 mai 2021, Psychiatrie moléculaire .
DOI :10.1038/s41380-021-01122-0